Ne nous oubliez pas, nous aussi nous sommes des croyants en France,
et depuis plus longtemps que ces nouveaux venus qui monopolisent l’attention et
les prévenances de la classe politique… Ce n’est pas suffisant. Une longue
période de tranquillité s’achève. Une période d’épreuve commence, aussi
décisive pour la physionomie ultérieure du catholicisme, et donc de la France,
qu’ont pu l’être la Révolution ou la Seconde Guerre mondiale. Les catholiques
le sentent Ils s’y préparent si l’on juge par les innombrables publications ou
rencontres portant, d’une part, sur la laïcité, d’autre part, sur l’islam, les
deux « fronts » entre lesquels ils se sentent menacés d’étouffement,
les musulmans obtenant une place de plus en plus considérable dans l’espace
public, tandis qu’une interprétation de plus en plus agressive et partiale de
la laïcité s’en prend aux traces les plus modestes de la présence chrétienne,
cette crèche dans une petite gare du midi, ou cette statue de Jean-Paul II dans
une petite ville de Bretagne. Pierre Manent. Situation de la France.
Desclée de Brouwer. P. 154.
L’islam a surgi dans une Europe qui a démantelé, ou laissé se
délabrer, ses anciens parapets. Ne parlant que de racines, mais n’osant plus
être chez eux, les Européens cherchent le repos dans le mouvement, un mouvement
que rien ne règle ni ne ralentit. Aucune frontière ne doit faire obstacle au
libre mouvement des capitaux, des biens, des services, des personnes, comme
aucune loi ne doit circonscrire le droit illimité de la particularité
individuelle. Une vie sans loi dans un monde sans frontières, tel est depuis au
moins une génération l’horizon des Européens. Un tel dispositif semblerait
devoir être très peu hospitalier pour l’islam qui s’avance au nom d’une loi
absolue et divine. De fait, la charia suscite bien des appréhensions. En même
temps, grâce précisément à son ordonnancement par la loi religieuse, l’islam
ignore lui aussi à sa manière des frontières. Les frontières des deux groupes
humains sont donc aussi indéfinies les unes que les autres. Comme l’islam n’a
jamais trouvé de forme politique propre, l’Europe entend abandonner la forme
politique qui lui était propre. Dans cette rencontre de deux ensembles
dépourvus de forme politique vient se résoudre la malédiction, ou l’infirmité,
d’être né quelque part. Pierre
Manent. Situation de la France. Desclée
de Brouwer. P 166.
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