C’est une règle que les nouveaux venus dans un pays
restent plus ou moins longtemps particulièrement discrets. Pierre Manent Situation de la France. Desclée de
Brouwer. P 118
Je l’ai souligné à plusieurs reprises, et d’une
certaine manière cela constitue la proposition critique principale de cet
essai, notre régime politique s’est progressivement paralysé par la manière de
plus en plus étroite et unilatérale dont il a compris ses principes. Les droits
de l’homme ont été radicalement séparés des droits du citoyen et, au lieu de
libérer les sociétaires pour les rendre capables et désireux de participer à la
chose commune, ils sont désormais censés se suffire à eux-mêmes, l’institution
publique n’étant plus que leur docile instrument. Nous sommes probablement les
premiers, et nous resterons assurément les seuls dans l’histoire, à livrer tous
les composants de la vie sociale, tous les contenus de la vie humaine, à la
souveraineté illimitée de l’individu particulier. Ce n’est pas le lieu de s’interroger
sur les causes et le sens d’un si étrange développement. Il importe en revanche
de souligner combien une telle transformation des critères du juste tend à
priver de légitimité et de sens toute perspective d’une vie et d’une action
communes. Je l’ai dit, sous le terme d’« égalité » ou de « laïcité »,
ou sous la formule des «valeurs de la République», ce qui est à l’œuvre, c’est la
disqualification de tous les contenus de vie partageables au motif qu’ils n’ont
pas été choisis par chacun. On le comprend aisément, si l’humanité avait
commencé son aventure en embrassant de tels principes, jamais ni familles, ni
cités, ni communautés religieuses n’auraient été créés. Étrangement, notre
régime a pris à tâche de s’appuyer de plus en plus exclusivement sur un
principe sur lequel en tout cas il est impossible de rien fonder. On raisonne à
peu près ainsi : si l’on veut que les Français, dans leur diversité
désormais impossible à ramener à l’unité, vivent ensemble dans l’égalité des
droits, alors ils doivent n’avoir entre eux rien de commun sinon les valeurs de
la République, c’est-à-dire les dispositions qui permettent de vivre ensemble,
sans avoir rien de commun. Nous ne survivrons comme communauté de vie et de
sens que si nous nous réveillons de ce vertige de dissolution. Pierre Manent Situation de la France. Desclée de
Brouwer. P 128.
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