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mardi 3 septembre 2013


« Le grand philosophe est celui dont les générations successives portent, pour ainsi dire, le discours sur leur personne. Le platonicisme, le cartésianisme, l'idéalisme et les impératifs moraux de Kant, l'historicisme de Hegel et de Marx, l'existentialisme selon Kierkegaard et Nietzsche ont été des modes de vie, des paysages de mouvement public et privé, pour d'innombrables hommes et femmes entièrement dénués de toute éducation philosophique formelle et de tout intérêt spécialisé. Le débat philosophique entre platoniciens, entre thomistes et cartésiens, entre positivistes logiques et heideggeriens, sartriens ou vitalistes bergsoniens, sont des éléments significatifs de l'identité politique ou générationnelle. A l'heure actuelle, bon nombre de mes étudiants ont les Écrits de prison de Gramsci dans leur poche gauche ; bon nombre ont Résistance et soumission, les écrits de prison de Bonhoeffer, dans leur poche droite (les deux livres étant dialectiquement apparentés). Les meilleurs auront les deux. C'est le « livre dans la poche » qui compte, cette manière d'épouser un texte, d'en faire un élément radical et crucial de l'élan privé comme de l'attitude sociale. C'est la conviction socratique qu'une communauté d'hommes rationnels est une communauté pénétrée de discussion philosophique explicite, et que la pensée abstraite est le vrai moteur de la vie vécue. Sur la scène américaine, cette conviction est « académique » en un sens que j'espère rendre utilement discutable. George Steiner « Passions impunies » Gallimard p 270.

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