« Sous des dehors divers et successifs,
lexicaux et grammaticaux, le latin conserve en Europe un rôle
essentiel dans le droit, la politique, la philosophie, la science et
la littérature, depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à la fin
du XIXe siècle. C'est bien évidemment l'idiome de la proposition
philosophique et scientifique, du débat et de la critique, de Thomas
d'Aquin à Leibniz, de Roger Bacon à Copernic, Kepler et Newton.
C'est en latin que l'on rédige et soutient les thèses
universitaires. Même ubiquité en littérature : de la Pologne
jusqu'au Portugal, on compose en latin des drames, des poésies
lyriques, des satires, des poèmes épiques. Grâce au véhicule
latin, Milton se fait connaître hors d'Angleterre . Baudelaire
se montre capable d'écrire des vers latins, et Tennyson, et Hopkins.
Or l'effet est plus étendu, l'aura est plus vaste. Il serait
difficile d'interpréter avec cohérence la rhétorique des
littératures européennes, les notions fondamentales du sublime, de
la satire, du rire qu'elles incarnent et qu'elles expriment, sans
avoir nettement conscience du « sous-entendu » latin, de
ces négociations inintérrompues, souvent quasi subconscientes, soit
d'intimité ou de distance, entre l'écrivain de langue vulgaire et
son moule latin. Cette relation est aussi cruciale chez Corneille que
chez Valéry. Il arrive parfois que le néo-latin oppose au lecteur
de très grandes difficultés. Ceux d'entre nous qui peuvent le lire
convenablement sont relativement peu nombreux : ce fait tout
simple laisse un creux, une dénivellation près du pivot même des
études comparées en France. Là encore, une tâche nécessaire et
passionnante nous attend. » George
Steiner « Passions impunies »
Gallimard p
138.
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