« Si d'aventure il avait vécu octogénaire,
une hypothèse loin d'être déraisonnable, Camus aurait connu :
l'Algérie indépendante, les barricades de Mai 68, le rire de
Cohn-Bendit narguant les CRS, le général de Gaulle évincé du
pouvoir, le vieux chêne abattu sur sa table de jeu, les deux règnes
conservateurs du banquier normalien agrégé de lettres, Pompidou de
Montboudif, et de l'accordéoniste auvergnat, Giscard d'Estaing de
Chamalières. Il aurait aussi vu accéder à la magistrature suprême
un socialiste jadis décoré de la francisque, Mitterrand de Jarnac.
Il aurait assisté, sûrement médusé, à la conversion de l'ancien
ministre de la Justice qui envoyait les nationalistes algériens à
la guillotine en conscience morale de la gauche devenue la figure
emblématique de l'abolition de la peine de mort – une aubaine
morale pour un homme dont la réputation était qu'il en avait si
peu. Il n'aurait pas manqué de voir comment cet homme
instrumentalisa l’extrême droite pour rester au pouvoir deux fois
sept ans et comment il brada les idées de gauche qui l'avaient
conduit à l'Elysées deux ans après son arrivée au pouvoir. Il
aurait vu paraître L'Archipel du Goulag de Soljenitsyne et constaté
qu'en compagnie de « Nouveaux Philosophes », BHL se
réclamait de lui avant de le salir gravement dans Le siècle de
Sartre – un plaidoyer pour la
grandeur de Sartre qu'il aurait pu lire à l'âge de quatre-vingt dix
sept ans ! Il aurait assisté également à la mort de Franco, à
celle de Mao, à celle de Sartre, à la chute du mur de Berlin, à
l'effondrement des pays de l'Est – il aurait eu soixante-seize ans
seulement. Quels beaux livres il nous aurait donnés ! Quelles
belles parutions que la réunion des chroniques inspirées par ces
mouvements de l'Histoire dans Actuelles IV, Actuelles V,
etc ». Michel
Onfray, « L'ordre libertaire. La
vie philosophique d'Albert Camus » Flammarion
2012 p.520.
« Mai
68 fut l'occasion pour la jeune génération de philosophes de donner
son congé à Sartre . Cohn-Bendit faisant passer un petit mot à
Sartre lors d'une AG à la Sorbonne pour lui dire : « Sois bref »
résume bien la situation ! Michel
Onfray, « L'ordre libertaire. La
vie philosophique d'Albert Camus » Flammarion
2012 p.536.
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