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jeudi 21 janvier 2016

Il avait passé le concours d'inspecteur des impôts avant de se marier avec Annelise, une fille  qu'il avait rencontrée je ne sais plus où, dans une soirée étudiante quelconque. Elle-même travaillait au service marketing d'un opérateur de téléphonie mobile, elle gagnait beaucoup plus que lui mais il avait la sécurité de l'emploi comme on dit, ils avaient acheté un pavillon à Montigny-le-Bretonneux, ils avaient deux enfants déjà, un garçon et une fille, c'était le seul parmi mes anciens condisciples qui se soit engagé dans une vie familiale normale, les autres ramaient vaguement entre un peu de Meetic, un peu de speed-dating et beaucoup de solitude, je l'avais rencontré par hasard dans le RER et il m'avait invité chez lui le vendredi suivant pour un barbecue, on était à la fin juin, il y avait une pelouse et pouvait organiser des barbecues, il y aurait quelques voisins, "personne de la fac", m'avait-il prévenu.
L'erreur avait été d'organiser ça un vendredi soir, compris-je d'emblée en arrivant sur la pelouse et en faisant la bise à sa femme, elle avait travaillé toute la journée et rentrait chez elle crevée, en plus elle s'était monté la tête à force de regarder les rediffusions d'Un dîner presque parfait sur M6 et avait prévu des choses beaucoup trop sophistiquées, le soufflé aux morilles c'était sans espoir mais au moment où il devint évident que même le guacamole allait être raté j'ai cru qu'elle allait éclater en sanglots, son fils de trois ans se mit à pousser des hurlements et Bruno, qui avait commencé à se péter la gueule dès l'arrivée des premiers invités, ne pouvait lui être d'aucun secours pour retourner les saucisses, alors je vins à son aide, du fond de son désespoir elle me jeta un regard éperdu de gratitude, c'était plus complexe que je ne le pensais un barbecue, les côtelettes d'agneau se recouvraient à vive allure d'une pellicule carbonisée, noirâtre et probablement cancérigène, le feu devait être trop fort mais je n'y connaissais rien, si je plongeais dans le mécanisme je risquais de faire exploser la bouteille de butane, nous étions seuls devant un tas de viande carbonisée et les autres invités vidaient les bouteilles de rosé sans nous prêter la moindre attention, c'est avec soulagement que je vis arriver l'orage, les premières gouttes tombèrent sur nous, obliques et glaciales, ce fut une retraite immédiate vers le living, la soirée évoluait vers le buffet froid. Au moment où elle s'abattait sur son canapé, jetant un regard hostile au taboulé, je songeai à la vie d'Annelise, et à celle de toutes les femmes occidentales. Le matin probablement elle se faisait un brushing puis elle s'habillait avec soin, conformément à son statut professionnel , et je pense que dans son cas elle était plus élégante que sexy, enfin c'était un dosage complexe, elle devait y passer pas mal de temps avant d'aller mettre les enfants à la crèche, la journée se passait en mails, en téléphone, en rendez-vous divers puis elle rentrait vers vingt et une heures, épuisée (c'était Bruno qui allait chercher les enfants le soir, qui les faisait dîner, il avait des horaires de fonctionnaire), elle s'effondrait, passait un sweat-shirt et un bas de jogging, c'est ainsi qu'elle se présentait devant son seigneur et maître et il devait avoir, il devait nécessairement avoir la sensation  de s'être fait baiser quelque part, et elle-même avait la sensation de s'être fait baiser quelque part. Michel Houellebecq Soumission. Flammarion. p. 92

Le seigneur Jésus devait revenir, il revenait bientôt, et déjà la chaleur de sa présence emplissait de joie leurs âmes, tel était au fond le thème unique de ces chants, chants d'attente organique et douce. Nietzsche avait vu juste, avec son flair de vieille pétasse, le christianisme était au fond une religion féminine. Michel Houellebecq Soumission. Flammarion. p. 218.

Oui la beauté de l'Univers est remarquable ; et son gigantisme, surtout est stupéfiant. Des centaines de milliards de galaxies, composées chacune de centaines de milliards d’étoiles, et dont certaines sont situées à des milliards d'années-lumière - des centaines de milliards de milliards de kilomètres. Et, à l'échelle du milliard d'années-lumière, il commence à se constituer un ordre : les amas galactiques se répartissent pour former un graphe labyrinthique. Exposez ces faits scientifiques à cent personnes prises au hasard dans la rue : combien auront le front de soutenir que tout cela a été créé par hasard ? D'autant que l'Univers est relativement jeune - quinze milliards d'années tout au plus. C'est le célèbre argument du singe dactylographe : combien de temps faudrait-il à un chimpanzé, tapant au hasard sur le clavier d'une machine, pour réécrire l'oeuvre de Shakespeare ? Combien  de temps faudrait-il à un hasard aveugle pour reconstruire l'Univers ? Certainement bien plus de quinze milliards d'années !...Et ce n'est pas seulement le point de vue de l'homme de la rue, c'est aussi celui des plus grands scientifiques : il n'y a peut-être pas eu d'esprit plus brillant, dans l'histoire de l'humanité que celui d'Isaac Newton - songez à cet effort intellectuel extraordinaire, inouï, consistant à unir dans une même loi la chute des corps terrestres et le mouvement des planètes ! Eh bien Newton croyait en Dieu, il y croyait fermement, à tel point qu'il a consacré les dernières années de sa vie à des études d’exégèse biblique. Michel Houellebecq Soumission. Flammarion. p. 218.



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