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vendredi 26 juin 2015

L'homme actuel [...] vit dans un univers de jugements permanents, de compétition, rongé par un désir de mimétisme. Les coiffures, les goûts musicaux,  les piercings, les "amis numériques", dessinent dans la société des archipels étrangers les uns aux autres. A l'intérieur de la tribu, l'individu se sent exister positivement que lorsque ses signes extérieurs d'appartenance coïncident avec ceux de son voisin. Philippe Val. l'incultuMalaise dans re. Grasset. p. 295.
Si l'individu s’essouffle et déprime, talonné par un sentiment d'échec, avouons-lui enfin que c'est effectivement la faute à la société et, comme on dit, au "système". Mais il faut aussitôt ajouter: "Mais la société et le système, c'est toi." le choc de la découverte sera rude mais nécessaire. Il percutera la réalité comme un bolide dans un mur de béton. C'est une vieille devinette: "Savez-vous pourquoi les généraux sont tous des cons? Parce qu'on les choisit parmi les colonels. Le moment est venu de poser la devinette aux sociologues: "Savez-vous pourquoi les dominants sont des cons? Parce qu'on les choisit parmi les dominés Philippe Val. Malaise dans l'inculture. Grasset. p. 295.
Dans cette société où la comparaison et l'imitation sont devenus frénétiques, si le statut social a son rôle dans le destin des individus, il est mineur en regard du rôle que joue pour tous l'effondrement culturel de notre société. Moment historique: le dimanche 26 octobre 2014, la ministre de la Culture; interviewée sur Canal Plus après avoir raconté qu'elle avait déjeuné avec Patrick Modiano, non seulement a été incapable de citer un titre de son oeuvre mais a avoué, sans embarras, qu'elle n'avait "rien lu depuis deux ans"... La banalisation de l'ignorance, c'est la pérennisation de la misère. L'ignorance est une injustice plus scandaleuse que la pauvreté. Philippe Val. Malaise dans l'inculture. Grasset. p. 296.
Que l'on fasse de la politique, de la philosophie, de la chanson, du théâtre, que l'on soit journaliste ou enseignant, quand on se donne pour mission de s'adresser aux autres, la base sur laquelle s'échafaude tout le reste, c'est le plaisir que l'on doit procurer. Et si possible un plaisir  qui ne fait pas honte à celui qui l'éprouve. Le savant agencement d'une pensée philosophique doit faire jubiler. L'humour, la musique, la politique, l'information si dramatique soit-elle parfois, provoquent un éveil des sens, un moment d'ouverture au monde, une érotisation de l'intellect. On peut échouer à transmettre ces connaissances et ce plaisir, ou réussir plus ou moins, mais on ne doit jamais oublier de s'y consacrer autant qu'il est possible.
Ce plaisir particulier, qui ne se trouve pas dans la "nature" est un produit de l'intellect humain, et seuls ceux qui savent le faire partager sont légitimes à tenir un discours public. Tout le monde, évidemment, a le droit de parler aux autres: pour le meilleur, si l'on a quelque chose à dire qui éclaire la réalité et éveille les sens, pour le pire, si ce que l'on raconte est vain ou bien a déjà été dit avec plus de grâce.
Pour ressentir cette sorte de "désir professionnel" de faire plaisir, il faut briser les entraves de la méfiance et accorder à l'autre ce que l'on s'accorde à soi: la capacité à jouir de la compréhension des choses. Dans une période où le cynisme est une élégance, je mesure le risque d'aborder ce rivage des sentiments fraternels. mais que l'on se rassure, il n'est pas  question de sentiments à l'eau de rose. Il s'agit d'une forme d'amour qui n'est pas forcément gentil, bien-pensant ou moral. Il ne s'agit nullement d'aimer tous les individus, et encore moins une classe sociale ou un peuple particulier. Il s'agit du désir de parler et de communiquer ses idées à une multitude indéterminée d'êtres singuliers, dont on ignore s'ils sont sympathiques ou antipathiques. C'est travailler à la création d'un point où le bonheur de la rencontre est possible, et ne vivre que pour cela. C'est la quête d'une perfection inaccessible. C'est pourquoi ça n'est jamais clos. Montaigne exprime cette quête qui est celle de toute personne s'adressant aux autres: "J'ai toujours une idée en l'âme, et certaine image trouble, qui me présente comme un songe, une meilleure forme que celle que j'ai mise en besogne, mais je ne la puis saisir et exploiter." Philippe Val. Malaise dans l'inculture. Grasset. p. 297.

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